Petit billet pour une petite plaquette qui fait du bien. Comment je suis devenu stupide de Martin Page (2000) m’avait été recommandé par une collègue et amie, grande lectrice qui, il y a de ça quelques années, tenait un blogue pour partager ses lectures.
Presque fascicule avec ses 125 pages, cette plaquette est fascinante. On suit l’histoire d’Antoine, un universitaire brillant dont l’intelligence – à son avis – le fait souffrir. Plutôt que d’opter pour le suicide ou l’alcoolisme, il décide de devenir stupide. En fait, il a essayé l’alcoolisme, mais ça ne lui faisait pas. Pourtant, il avait bu chaque parole des livres sur les alcools, les modes de fermentation, la distillation. Mais comme lui rappelle ce quidam rencontré au bar:
À trop lire, tu ne deviendras jamais alcoolique, rétorqua Léonard avec flegme. C’est une activité qui demande un certain engagement, il faut s’y consacrer plusieurs heures par jour. C’est une discipline, comme qui dirait, olympique. Je ne crois pas que tu aies la capacité pour ça, gamin » (p.18)
Donc, on suit Antoine dans sa quête d’abrutisation, de crétinisation.
Un des moments sublimes de ce bouquin, c’est le long monologue où il annonce à ses amis sa décision. Huit pages de pur plaisir remplies de réflexions comme celles-ci:
Ceux qui pensent que l’intelligence a quelque noblesse n’en ont certainement pas assez pour se rendre compte que ce n’est qu’une malédiction. […]
Je n’ai jamais été sportif […] Trop chétif pour le sport, il ne me restait que les neurones pour inventer des jeux de balle. L’intelligence était un pis-aller.
Être curieux, vouloir comprendre la nature et les hommes, découvrir les arts, devrait être la tendance de tout esprit. Mais si cela était, avec l’organisation actuelle du travail, le monde s’arrêterait de tourner, simplement parce que cela prend du temps et développe l’esprit critique. […]
J’ai la malédiction de la raison; je suis pauvre, célibataire, déprimé. Cela fait des mois que je réfléchis sur ma maladie de trop réfléchir, et j’ai établi avec certitude la corrélation entre mon malheur et l’incontinence de ma raison. Penser, essayer de comprendre ne m’a jamais rien apporté mais a toujours joué contre moi. […]
Les hommes simplifient le monde par le langage et la pensée, ainsi ils ont des certitudes; et avoir des certitudes est la plus puissante volupté en ce monde, bien plus puissante que l’argent, le sexe et le pouvoir réunis. »
Je vous le recommande fortement. C’est un livre agréable à lire et qui fait sourire du début à la fin. Toutefois, j’ai essayé de lire un autre titre de Martin Page, On s’habitue aux fins du monde (2005), et j’ai moins aimé. En fait, je n’ai pas été capable de me rendre à la moitié du livre… mais je vais peut-être essayé avec un autre titre.