Jeune, la toile la Voix de feu de Barnett Newman me fascinait. J’avais tout au plus 8-9 ans la première fois où j,ai rencontré cette colossale toile. Après, je ne cessais de vouloir reproduire cette forme de peinture dans mes cours, au grand dam de ma professeure. À l’époque, tout un scandale entourait l’achat de cette œuvre par le gouvernement canadien (archive Radio-Canada). Bon, maintenant le gouvernement doit avoir des couilles en or avec cette toile, enfin!
Cela dit, l’appréciation de l’art contemporain ou moderne pose tout le problème des valeurs esthétiques – bien sûr – mais aussi sur la capacité et les compétences pour parvenir à créer une oeuvre qui se distingue et qui bénéficiera d’une reconnaissance par nos pairs.
Newman, un plasticien, offre une oeuvre qui, sur le plan technique, est cartésienne si je peux dire. Un type dans le reportage de Radio-Canada dit qu’il serait aussi capable de faire la même chose avec un rouleau et deux pots de peintures – voilà que je me souviens avoir entendu mon pere dire la même chose devant cette toile! Peut-être.
Cet argument où l’art est réduit à sa matérialité m’écoeure. Le « ben là, j’suis capable d’en faire autant » sous-tend un refus de considérer la démarche de l’artiste et un déni de ses capacités. En agissant comme tel, le spectateur, à mon sens, refuse tout dialogue avec l’artiste ou même de se laisser pénétrer par l’oeuvre… aussi mystérieuse soit-elle.
D’ailleurs, rien n’empêche quiconque de chercher à faire de l’art abstrait. Pourquoi donc si peu de personnes s’y adonnent et qu’encore moins sont reconnus… qu’est-ce qu’il y a derrière la simplicité de l’exécution? Qu’elle corde est touchée chez le spectateur pour qu’il se braque contre de telles oeuvres en diminuant l’artiste au rang de simple quidam s’amusant dans le rayon de la peinture chez Rona?
Ce discours atteint aussi les expressionnistes et les automatistes. Devant un Pollock, certains diront : « N’importe qui est capable de faire cela. » Vraiment?
J’avoue m’être aussi déjà passé une remarque de la sorte devant un dessin de Basquiat que je trouvais plutôt naïf et enfantin.
Avec le recul, je trouve ce type de commentaire doublement offensant. D’abord, c’est offensant pour l’artiste en niant, comme je le disais, sa démarche, ses capacités et ses compétences. Ensuite, c’est offensant envers les artistes versés dans l’art primitif ou l’art non-représentatif et envers les enfants. Comme le disait Rothko:
Beaucoup de ces peintures [celles de ses élèves mineurs], croyons-nous, possèdent une valeur intrinsèque en tant qu’œuvres d’art. C’est-à-dire qu’elles sont des réalisations achevées d’un sujet qui nous touche par la beauté de ses atmosphères, par la complétude de ses formes, et par l’intensité du dessin. […] Ces enfants ont des idées, souvent bonnes, et ils les expriment avec vivacité et avec beauté, de telle sorte qu’ils nous font ressentir ce qu’ils ressentent. Par conséquent, leurs efforts sont intrinsèquement des œuvres d’art. » (2007 : 28)
Cela m’amène à vous parler d’une récente étude menée par une chercheuse en histoire de l’art/psychologie, Mme Angelina Hawley-Dolan, qui a menée une recherche sur ce phénomène. La question est simple: existe-t-il une différence perceptible entre l’art fait par un professionnel et celui fait par un enfant, un chimpanzé ou un éléphant? Les résultats sont intéressants en ceci que la réponse est affirmative. Je vous invite à lire son article paru dans la revue scientifique Psychological Science aussi disponible librement sur son site Web: Hawley-Dolan & Winner (2011).
Cela dit, mon intention ici n’est pas pour autant de défendre toute forme obscure de justifications pseudosavantes de l’art contemporain. À mon sens, l’oeuvre doit parler d’elle-même et les explications doivent être aussi minimales que possible; comme des jalons sur un chemin.
Pour ceux qui sont intéressés, le blogue Almost as cool as fighting offre quelques déconstructions de textes de musées. Je me pisse dessus à chaque fois que je les lis (Texte 1, Texte 2). Extrait savoureux d’un texte de Mathieu Grondin:
Sur Luanne Martineau par Lesley Johnson
« Logée au cœur de la pratique de Luanne Martineau, la notion de double encodage est ouvertement reliée à l’architecture postmoderne, au baroque et à l’artisanat contemporain. Elle réfère à l’insertion d’au moins deux codes reconnaissables – mais opposés – pour perturber et déstabiliser le sens. Martineau identifie les langages formels qui semblent posséder un contenu idéologique fixe (l’expressionnisme abstrait par exemple) et tente de créer des situations formelles qui se contredisent et sabotent ce contenu. Dans son approche, les techniques artisanales fonctionnent comme un dispositif perturbateur qui devient le moyen par lequel elle parvient au double encodage. Cette démultiplication des codes produit des œuvres qui refusent de se confiner confortablement aux catégories de l’abstrait ou du figuratif, du minimalisme ou de l’expressionnisme, du design ou de la sculpture, du beau ou du grotesque, du majeur ou du mineur, de l’artisanat ou de l’art. »TRADUCTION: “Luanne Martineau fait du “double encodage » à travers ses vomis de chat. Elle veut dire deux affaires qui se contredisent pour te fucker. Martineau dit qu’elle fait de l’expressionnisme abstrait pis elle prend de la laine fak’ ça donne du vomi de chat. Dans son approche, elle fucke l’idée de l’expressionnisme abstrait; elle la sabote en utilisant de la fucking laine ! C’est ça du “double-enculage” (sick). Ça permet de produire du vomi de chat qui va toujours être un peu choquant pis fitter nulle part parce que ça veut tout pis rien dire.”
Très intéressant! J’ai un fils qui a déjà reproduit la toile de Newman alors qu’il avait 9-10 ans et pour qui, l’art abstrait l’a toujours fasciné et inspiré. Ce que je trouve fascinant chez les artistes, c’est la démarche qu’ils ont et comment cela s’inscrit dans le courant social de leur époque et en quoi cela est innovateur par rapport à leurs prédécesseurs. Par contre, ce qui m’attriste c’est de voir de jeunes artistes émergents qui vivent intensément, et qui en payeront le prix de leur vie et nous laisserons une oeuvre brute que nous n’aurons pu voir évoluer. En ce sens, l’oeuvre colossal de Picasso permet de suivre le cheminement artistique évolutif de l’artiste.
Bon OK, devant cette œuvre, j’ai probablement dit que je pouvais faire la même chose avec un rouleau et de la peinture des rayons chez Rona, mais ta mère la dit aussi. Cela dit, la frustration des gens était plutôt envers le montant payer pour ladite toile et non pour la technique utilisée par l’artiste. Cela dit, il a des peinture qui, pour certains, non aucun sens, mais ça ne veut pas dire que ces gens là sont des idiots pour autant parce qu’il n’apprécient pas.
Et pour ma part, et surement celle de ta mère, cela ne nous à jamais arrêter de t’amener au musée pour voir des toiles qui souvent ne disait rien pour nous, mais de te voir en apprécier le sens nous rendait heureux et, par le fait, même nous faisait comprendre la toile.
Papa
En fait cette toile a été crée en référence à l’étendue des prairies canadiennes, après que Barnett Newman les ait visitées. Pour lui, cette zone est sans frontières, parfaite géométriquement. Donc en fait, il rendait hommage au territoire canadien et à son immensité.
Ouhein… Newman un plasticien… une chance que je suis des cours en histoire de l’art. En me relisant, je capote un peu…